CHAPITRE PREMIER
Le système n’avait pas été affecté par les événements survenus sur la quatrième planète. La bataille terminée, son soleil brillait d’une lumière aussi dorée qu’avant. Seul le monde conquis avait souffert, comme en témoignait sa surface ravagée. Les régions naguère vertes, bleues ou blanches étaient d’un gris de cendre ou d’un brun malsain. Sous les nuages effilochés, de la fumée montait des cités détruites et des forêts incendiées. De la vapeur s’élevait des lits surchauffés des lacs et du fond des mers peu profondes.
Sous le linceul de cendres et de débris de la planète se cachait le vaisseau de guerre responsable de la dévastation : un ovoïde massif en corail yorik. Par endroits, sa surface noire rugueuse laissait place à des bandes plus lisses ayant l’aspect de la lave. Les courbes incurvées de la coque abritaient des lance-torpilles et des canons à plasma. Des sortes de cratères hébergeaient les basals dovin qui assuraient la propulsion du vaisseau et sa protection. A l’avant et à l’arrière, des extensions rouge sang et bleu cobalt recevaient les chasseurs en forme d’astéroïdes. Des vaisseaux plus petits réparaient les zones endommagées lors des combats ou rechargeaient les systèmes d’artillerie. Quelques-uns apportaient les fournitures prises sur la planète.
Au-delà de la zone de bataille flottait un vaisseau également noir, à la surface polie et taillée façon pierre précieuse. De la lumière clignotait sur les différentes facettes comme si des données étaient échangées d’un secteur à l’autre.
Installé dans un dôme surélevé, sous le nez angulaire du vaisseau, et assis en tailleur sur des coussins, un être ascétique regardait les débris que les caprices de la dérive spatiale rapprochaient. Des vestiges de grands vaisseaux et de chasseurs de la Nouvelle République, des cadavres en combinaison spatiale figés dans des positions étranges, des projectiles n’ayant pas explosé, et une partie du fuselage d’un navire non combattant. Sur le fragment d’épave se lisait le nom : Faille de Penga.
Non loin dérivait le squelette calciné d’une plate-forme de défense. Un croiseur détruit décrivait autour une orbite de plus en plus serrée, vomissant son contenu dans le vide stellaire. Ailleurs, un transporteur était inexorablement attiré vers le vaisseau de guerre géant.
L’être ascétique ne ressentait ni joie ni regrets. La destruction était nécessaire.
Au bout de la salle de commandement, un acolyte lisait les mises à jour qu’il recevait sur un dispositif vivant attaché à son avant-bras droit par des pattes insectoïdes.
— La victoire est à nous, Votre Eminence. Nos troupes aériennes et notre infanterie ont envahi les centres civils et installé un coordinateur de guerre. (L’acolyte regarda le villip de réception, sur son bras. Sa bioluminescence contribuait à éclairer le dôme sombre.) Selon le tacticien du commandant Tla, les cartes d’astrogation et les archives historiques de ce lieu seront très utiles pour notre campagne.
Le prêtre Harrar, un mâle d’âge moyen, regarda le vaisseau de guerre.
— Le tacticien a-t-il donné son opinion au commandant Tla ?
L’hésitation de l’acolyte fut éloquente…
— Notre arrivée déplaît beaucoup au commandant. Il ne rejette pas d’emblée la nécessité d’un sacrifice, mais il souligne que la campagne, jusque-là, a réussi sans l’intervention d’une autorité religieuse. Il craint que notre présence lui complique la tâche.
— Le commandant Tla ne comprend pas que nous affrontions l’ennemi sur plusieurs fronts, dit Harrar. Il est possible de vaincre par les armes sans que l’adversaire soit converti à nos croyances.
— Dois-je transmettre ceci au commandant ?
— Ce n’est pas votre rôle. Je m’en occuperai.
Harrar se leva et gagna la cloison transparente du dôme. Il croisa dans son dos ses mains à trois doigts. Les doigts manquants avaient été sacrifiés lors des rituels. Mince et élancé, enveloppé d’une tunique souple, il avait de longs cheveux noirs retenus par un foulard au dessin et aux nœuds chargés de symboles. Sur sa nuque, des marques étaient gravées entre ses vertèbres proéminentes. Par la baie, il regarda la planète vaincue.
— Comment s’appelle ce monde ?
— Obroa-skai, Votre Eminence.
— Que signifie ce nom ?
— Nous l’ignorons. Nous trouverons l’explication dans les archives de la planète.
— Peu importe, dit Harrar.
Un mouvement attira son attention. Un vaisseau d’attaque en corail yorik apparut, surgi de l’hémisphère obscur de la planète. Il tirait sur les chasseurs qui le poursuivaient. Les petites ailes X approchaient rapidement, lançant force rayons d’énergie sur leur adversaire.
Les pilotes de la Nouvelle République, paraissait-il, avaient appris à tromper les basals dovin en modifiant la fréquence et l’intensité de leurs lasers. Les quatre chasseurs pourchassaient le vaisseau-artilleur avec la détermination née d’une confiance en soi forcenée. Des qualités dont les Yuuzhan Vong devraient tenir compte à mesure que l’invasion progresserait… Il faudrait expliquer à la caste guerrière, à qui les nuances échappaient aisément, que la survie était pour l’ennemi aussi importante que la mort dans les croyances des Yuuzhan Vong.
Le vaisseau-artilleur changea de vecteur et se rapprocha du grand bâtiment pour se mettre sous sa protection. Mais les quatre chasseurs étaient décidés à l’avoir. Rompant leur formation, ils accélérèrent et l’encerclèrent.
Les pilotes des ailes X passèrent à l’attaque avec une virtuosité impressionnante. Des rayons laser et des torpilles à protons filèrent vers leur proie, fatiguant les basals dovin. Pour chaque rayon ou torpille avalée par les trous noirs que les basals dovin projetaient, une autre atteignait la coque du vaisseau-artilleur, lui arrachant des morceaux de corail yorik d’un noir rougeâtre. Les chasseurs ne firent pas de quartier. Les lasers arrachèrent le vaisseau à sa trajectoire. Les basals dovin faiblirent. Le vaisseau n’eut pas d’autre recours que concentrer toute son énergie sur l’armement avant de contre-attaquer.
Des flammes dorées jaillirent… Les canonniers entraient en scène. Mais les chasseurs, trop rapides et trop agiles, évitèrent les tirs, arrosant le vaisseau d’un feu mortel. La destruction d’un site de lancement de plasma déclencha une série d’explosions le long du flanc tribord. Du corail yorik fondu tourbillonna à la poupe du vaisseau, évoquant la queue d’une comète. Des éclairs jaillirent du centre du navire.
Il perdit de la vitesse puis disparut, englouti par une boule de feu qui se dissipa rapidement dans le vide spatial.
Les ailes X firent mine d’attaquer le vaisseau de guerre. Au dernier moment, ses pilotes tournèrent les talons. Les salves du grand vaisseau déchirèrent l’espace près des chasseurs, sans en toucher aucun.
Harrar tourna vers son acolyte son visage couvert de scarifications.
— Suggérez au commandant Tla de laisser les petits chasseurs s’enfuir. Un survivant devra raconter ce qui s’est passé.
— Les infidèles se sont bien battus. Ils ont péri courageusement, dit l’acolyte.
— Est-ce du respect qui perce dans votre voix ?
— Une simple observation, Votre Eminence. Pour gagner notre respect, il faudrait qu’ils acceptent la vérité que nous leur apportons.
Un messager de rang inférieur se présenta dans le dôme et salua en se frappant les épaules, les poings croisés.
— Belik tiu, Votre Eminence. Les prisonniers sont rassemblés.
— Combien ?
— Plusieurs centaines, d’aspect différent. Voulez-vous présider à la sélection en vue du sacrifice ?
Harrar arrangea les plis de son élégante tunique.
— J’en serai ravi.
Le sas diaphane du couloir du transporteur s’ouvrit sur une immense soute bondée de prisonniers. L’entourage d’Harrar, des gardes personnels et des assistants, y pénétra, suivi par le prêtre, perché sur un coussin à lévitation, une jambe pliée sous le corps, l’autre pendant par-dessus bord. Le basal dovin en forme de cœur qui permettait au coussin de flotter s’élevait ou changeait de direction quand le prêtre le souhaitait.
Eclairée par des cercles bioluminescents accrochés au plafond et aux murs, la soute était cloisonnée par plusieurs champs d’inhibition. Chaque zone était sous l’influence d’un basal dovin de grande taille et contenait des savants et des chercheurs originaires de quantité de mondes. Des Bothans, des Bith, des Quarren et des Caamasi jacassaient en une multitude de langues, pendant que des gardiens vêtus de noir et armés de bâtons vongs supervisaient le processus de tri. L’immense espace, normalement réservé à l’entretien des coraux skippers, puait le sang, la sueur…
… Et la peur.
Harrar étudia la scène. Puis il gagna l’allée centrale pour inspecter les prisonniers. Avant d’atteindre le premier champ d’inhibition, il tourna autour d’un puits d’accès rempli de droïds capturés. Des centaines s’entassaient les uns sur les autres.
Quand Harrar ordonna à son basal dovin de s’arrêter près de la petite montagne de droïds, ceux qui se trouvaient au-dessus tremblèrent. Des têtes rectangulaires, rondes ou humanoïdes se tournèrent vers lui. Des détecteurs et des servomoteurs s’enclenchèrent, des photorécepteurs s’allumèrent. Une avalanche précipita les droïds du dessus en bas de la pile.
Le regard intrigué d’Harrar tomba sur un droïd de protocole tordu au bras droit orné d’une bande de tissu coloré. Il ordonna au coussin d’approcher tout près.
— Pourquoi certaines de ces abominations portent-elles des semblants de vêtements ?
— Ils servaient d’assistants de recherche, Votre Eminence, dit un assistant. Seuls les chercheurs habilités avaient accès aux bibliothèques d’Obroa-skai. Le symbole inscrit sur ce bracelet est celui de l’Institut d’Obroa.
Harrar en resta bouche bée.
— Voulez-vous dire que d’éminents chercheurs traitaient ces choses d’égal à égal ?
— Apparemment, Votre Eminence.
— Permettre à une machine de se considérer comme l’égal d’un être vivant l’amènera bientôt à se croire supérieure à lui ! (Il arracha au droïd la bande de tissu.) Incluez un échantillon représentatif de ces droïds dans la sélection. Incinérez le reste.
— Nous sommes fichus ! gémit une voix synthétique au milieu de la pile.
Des bras de toutes formes et couleurs se levèrent vers Harrar quand le coussin l’amena près du premier champ d’inhibition. Certains imploraient sa clémence, mais la plupart restaient silencieux, terrorisés.
Harrar les regarda avec indifférence. Puis un humanoïde à fourrure attira son attention. De son front proéminent saillaient deux cornes coniques. Les mains et les pieds couverts de cals, il avait des yeux vifs et intelligents. L’humanoïde portait une tunique sans manches d’un tissu grossier qui lui arrivait aux genoux. Une corde de fibre naturelle lui servait de ceinture.
— A quelle espèce appartenez-vous ? demanda Harrar dans un basique impeccable.
— Je suis un Gotal.
Harrar désigna la tunique.
— Vos vêtements conviendraient plus à un pénitent qu’à un savant. Lequel des deux êtes-vous ?
— Les deux, et aucun, répondit le Gotal avec une ambiguïté voulue. Je suis un prêtre H’kig.
Harrar pivota sur son coussin et s’adressa à sa suite.
— Quelle chance ! Nous avons un saint homme parmi nous ! Parlez-moi de votre religion, prêtre H’kig.
— En quoi mes croyances vous intéressent-elles ?
— Je conduis aussi des rituels. Expliquez-moi, de prêtre à prêtre.
— Les H’kig croient en la valeur d’une vie simple, dit le Gotal.
— Dans quel but ? Pour assurer des moissons abondantes, vous élever spirituellement, ou vous garantir une place dans l’après-vie ?
— La vertu est sa propre récompense.
— Vos dieux vous l’ont soufflé ? demanda Harrar, intrigué.
— C’est une vérité parmi d’autres.
— Une parmi d’autres… Et qu’en est-il de celle des Yuuzhan Vong ? Reconnaissez nos dieux, et je vous épargnerai peut-être.
Le Gotal le toisa froidement.
— Seul un faux dieu serait aussi avide de mort et de destruction.
— C’est donc vrai : vous redoutez la mort.
— Je ne la crains pas si elle survient au service de la vérité, pour soulager les souffrances ou abolir le mal.
— Les souffrances ? (Harrar se pencha vers le Gotal, menaçant.) Parlons-en ! La douleur est le lot de tout être vivant. Ceux qui l’acceptent comprennent que la mort est une délivrance. Voilà pourquoi nous allons volontairement à la mort. Nous sommes résignés. (Il haussa le ton.) Nous n’exigeons pas plus de vous que de nous-mêmes : payer les dieux en retour pour les sacrifices qu’ils ont consentis en créant le cosmos. Nous leur offrons de la chair et du sang afin que leur œuvre perdure.
— Nos dieux attendent au contraire de bonnes actions de notre part, objecta le Gotal.
— Des actions qui vous donnent des cals aux mains, fit Harrar, méprisant. Si ce sont toutes leurs exigences, pas étonnant qu’ils vous aient abandonnés quand vous aviez besoin d’eux !
— Nous ne sommes pas abandonnés. Nous avons toujours les Jedi.
Des murmures d’approbation parcoururent la misérable foule.
Harrar dévisagea les spécimens de diverses espèces. Dans leur galaxie d’origine, les Yuuzhan Vong avaient voulu anéantir cette diversité, se lançant dans des guerres qui avaient duré des millénaires et détruit d’innombrables peuples avec leurs planètes. Cette fois, les Yuuzhan Vong seraient plus circonspects. Ils se contenteraient de rayer du cosmos les mondes dangereux pour leur mission sacrée.
— Ces Jedi sont vos dieux ? demanda Harrar.
— Les Chevaliers Jedi sont les défenseurs de la justice et de la paix.
— Et cette « Force » dont j’ai entendu parler, comment la décririez-vous ?
Le Gotal esquissa un sourire.
— C’est un concept dont vous ne vous approcherez jamais. Même si on vous croirait issus de son Côté Obscur…
La remarque éveilla l’intérêt d’Harrar.
— La Force contient l’obscurité et la lumière ?
— Comme toute chose.
— Et dans quel côté vous placez-vous par rapport à nous ? Etes-vous si sûr de représenter la lumière ?
— Je sais seulement ce que me dit mon cœur.
— Alors, cette lutte est peut-être plus qu’une simple guerre. Les dieux s’affrontent… Et nous sommes leurs outils.
Le Gotal leva la tête.
— Peut-être. Mais le jugement final est déjà rendu.
Harrar ricana.
— Puisse cette conviction vous réconforter quand votre dernière heure aura sonné, prêtre. Ce qui ne saurait tarder ! (Il s’adressa à l’ensemble des prisonniers.) Jusqu’à ce jour, vous avez affronté des guerriers et des politiciens yuuzhan vong. Sachez que les véritables architectes de votre destinée sont arrivés !
Il fit signe à sa suite.
— La Force est une entité étrange et obstinée. Si nous sommes destinés à gouverner cette galaxie, nous devrons comprendre comment elle rassemble des myriades d’êtres si différents. Et surtout, il faudra éliminer les Chevaliers Jedi !